SE RENCONTRER A VEZELAY*.

       Le XV (Le Diable si l’on veut) février 2023 nous déjeunons Stanislas Sizaret et moi à la Brasserie du Parc, un déjeuner de garçons, puisque les femmes se font des déjeuners de filles. Je lance : « Et si on se faisait une expo ? » et Stanislas de répliquer : « A Vézelay ? » (Il a une maison pas bien loin de là).

Le XVI (La Maison-Dieu, si vous y tenez) Stanislas rencontre Virginie Péchard et lui fait part de cette envie un peu folle et Virginie de rétorquer : « J’en suis » (des verbes être et suivre comme au poker). Elle apprécie nos ouvrages et nous aimons ses créations.

    Le XVII (L’Etoile, si on continue) Stanislas passe à la mairie de Vézelay : ‘’une salle ?’’ Oui, la dernière semaine d’Avril’’ (pendant les vacances scolaires et en plus hors saison donc abordable pour nos poches trouées).

(Dans le texte qui suit pas de gentritude, nous sommes d’abord des êtres humains, terme neutre, à (se) conjuguer.)

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La semaine suivante je vais au Loppin, la maison ‘’mord vent d’aile’’ de Stanislas et Pauline où l’hospitalité est de plein droit présente et le partage de même. J’ai hâte de voir la ‘’salle gothique’’. Elle est magnifique avec son pilier central et ses voûtes croisées, à trois pas (tres passès) de la basilique.                                                   

    Puis nous nous voyons et déjeunons filles et garçons ! Virginie a apporté un projet d’affiche à partir de la Lâme ‘’Se Rencontrer’’ qui nous ravit Stanislas, Jocelyne (qui partage la vie avec moi) et moi-même, belle idée d’avoir en plus trouvé le titre de cette expo !                                                         

    Les semaines passent sans trop de fébrilité puisque j’ai une cinquantaine de planches pouvant être exposées ; et même s’invente en moi ‘’Rêver’’ et son palindrome parfait., poupée russe d’un autre palindrome parfait. Jocelyne m’aide à créer des cartes de visite (les dernières dataient de mes 15 ans !) et compose graphiquement les textes d’accompagnement qui apporteront, si souhaité, un éclairage aux lâmes exposées.

     Le XIII avril (le jour de l’arcane ‘’Sans Nom’’ dont tout le monde croit connaître le nom), une poule au pot partagée pour affiner la logistique : Où ? Quand ? Comment ? Donc on se retrouvera le 23 (le jour du Denier, de la Terre)au Loppin, chez Pauline et Stanislas, commune de la Villaine en Nièvre, espérant que tout tiendra dans nos trois véhicules, sinon on fera plusieurs tours …de magie. 

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      La maison de Pauline et Stanislas est à 20 kilomètres de Vézelay et par des routes se courbant dans des bois aux jacinthes fleuries, gravissant des coteaux où campe la ferme fortifiée de Vauban, s’insinuant le long du Cousin rivière vive, noire et brillante, nous mettons (si nous ne nous arrêtons pas trop pour admirer des orchidées, cueillir de l’ail d’ours ou écouter bruire de jeunes chênes aux troncs blancs,) le temps nécessaire pour arriver chaque matin avec juste le retard qu’il faut pour ne pas être tendu.     

Dans cette maison, un lopin sur un minuscule col entre deux vallons, chacun va à son rythme, dans un accord harmonique avec les autres et le lieu, sans faire de manières, Tempérance s’est posée dans les lilas – lis là. Peu ou pas de hâte et tout se fait : cuisine, ménage, vaisselle, jeux, lectures, musique, feux de bûches d’un mètre, départs, retours, envies partagées, échanges et aussi ce magnifique et vénérable piano Klein, qui sonne avec toute la nostalgie des années d’avant…

Le 23 avril, c’est aussi trois heures de route depuis Orléans avec des sinuosités entre blé tendre et colza en fleurs d’or, des bourgs endormis dans le soleil d’avril, de l’eau le long des chemins dans les creux des vallées, et la musique de l’Attirail (Dancings des bouts du monde) sur laquelle je chante à tue-tête par-dessus le moteur de mon vieux Sprinter. A peine arrivés nous chargeons les trois véhicules de nos œuvres : de mes deux cartons à dessins calés entre des socles de chêne jusqu’à la sirène de Loire de Virginie,

     en passant  par Tentations d’Aspirine de Stanislas.

Et le soir quatorze à table (Ouf ! Sauvés). Circulation des mots et des mets,  nous nous servons les uns les autres, un peu comme au paradis (pour savoir si c’est vrai attendons !). Après le repas Xavier, un des hôtes (ce mot dit les deux sens) m’explique avec intelligence et clarté là où nous en sommes de notre savoir sur l’au-delà de la terre : des univers se sont succédés et se succèderont, ’’le notre’’ étant là en ce moment. C’est intéressant pour moi qui ai assisté à l’invention du Big Bang ! et de plus nous n’avons pas à nous en faire : nos curiosités insatiables ont encore de belles découvertes devant elles pour quelques milliards d’années.

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Le 24, nous nous installons et c’est bouclé en cinq heures, chacun trouvant ses espaces. Pour moi : ce sont les murs et pour mes compagnons le carrelage rouge brun, entre la porte et les grandes baies.

    Stanislas installe la blancheur de ses pierres et terres à côté des modelés aux couleurs allant du grège à l’ivoire de Virginie, tout cela ceint des couleurs du Tarot. Il est 15 heures, un café ? Mais tout est fermé. Carpe diem ? Juste en face la propriétaire de l’Hôtel des glycines (l’une d’elles fleurit depuis deux siècles) très gentiment nous offre le café et ainsi nous fait découvrir qu’ici, à Vézelay,  »si tu demandes il te sera donné.  »(Matthieu 7 : 7) !          

Nous allons passer 7 jours de plaisirs, de rires, de joies, de rencontres heureuses mais nous ne le savons pas encore.                                                  

Et puis il y a les ‘’off’’ :

*Un matin, avant de prendre la route, balade dans le petit bois derrière : descente par un chemin sous haie, entrée par un passage de chevreuil dans le bois et immersion dans un lac de jacinthes matinales, ensoleillées et odorantes. Marcher dans les pas de l’autre pour perturber a minima leur matinée, s’arrêter devant des arbres couchés moussus, ensemencés de fougères, imprégnés d’eau de nuit, entendre des oiseaux matinaux jusqu’à plus soif d’oreille et revenir chacun un petit bouquet vert et bleu entre doigts et paume pour fleurir la salle, c’est ainsi.

*Un soir, après diner, nous partageons un cadavre exquis avec les lames du Tarot de Marseille, à la façon du Château des destins croisés d’Italo Calvino.  Venceslas, le plus jeune d’entre nous commence, il a un petit côté oiseau moqueur et il découvre l’Arcane Treize pour commencer ce qui nous emporte dans les aventures d’une pauvre bergère consentante contre son gré… la rencontre d’icelle avec un roi qui n’est pas … et un cavalier transi d’amour ainsi que d’autres personnages pas piqués des hannetons.

*Ou encore des jeux de société joyeux faisant appel à l’intelligence et l’intuition plus qu’au savoir.

* De la musique au piano, pour moi, le matin avant de partir pour se mettre en train et le soir pour s’enchanter ensemble avant un sommeil le plus souvent réparateur, juste quelquefois dérangé par un chat qui vient vous sentir les cheveux.

Et ne pas oublier les repas sur la terrasse de la salle avec qui se trouve là, vivres tirés du sac ou concoctés le matin (souvenir d’une compotée de légumes) ou à la table de la maison à dix ou six ou trois. C’est un partage qui lie la sauce entre nourritures terrestres et célestes : poulet gros comme un gascon cuit lentement dans une cocotte, un comble pour un coq, riz arrosé de coulis de tomates ou ‘’petit manger’’ de mouton cuit tout doux avec un bocal de tomates, des oignons, le tout revenu dans l’huile d’olives, arrosé d’une eau qui n’a pas besoin de bouteille (en plastique) et du Corbières, bien élevé, du Domaine de Sainte Juste à Durban.

 

Et dans la salle ?  Pour Stanislas et Virginie, comme j’étais souvent avec mes propres curieux, à l’écart de leurs conciliabules avec leurs visiteurs, je ne saurais qu’en dire sinon qu’il y avait beaucoup de sourires, de longues stations devant telle ou telle sculpture, des doigts qui montraient, des bouches qui disaient leurs plaisirs (bien lisibles dans le livre d’or). Quant à moi ce fut un bonheur de réaliser que ce dans quoi je chemine depuis longtemps devenait visible aux yeux d’autrui.

Pas tous bien sûr ! Il y eut ceux qui passaient devant les lâmes sans s’arrêter, et d’autres qui y allaient à leur pas tel :  

Frans, ce vézelien de grande taille, accompagné de Bô son chien bouclé noir. Un Mat en pays de connaissance, détaillant une à une mes planches puis qui, ayant fini son tour de lâmes, vient vers moi pour m’acheter Se Rencontrer ‘’en plus petit si possible’’ parce qu’il n’a plus beaucoup de place sur ses murs. Je ne vends pas ce qui est exposé mais promis je trouverai un moyen de répondre à sa demande. Revenu le lendemain il nous écrira une dédicace mémorable :  »Franchement, vous -les trois- sont, selon moi, les vraies artistes’’, le «e» à vraies m’a particulièrement plu puisqu’il signait notre androgynie artistique et créatrice.

Et Pierre, enthousiaste, qui se fait photographier dans l’ombre du Mat sous le porche, réalise une courte vidéo qu’il envoie à son réseau. Il revient le lendemain pour m’annoncer que cent personnes ont ‘’cliqué dessus’’. Passionné par le Tarot et aussi écrivain il est revenu pour m’offrir son roman policier dont le titre est évocateur : La Lemniscate. Lui aussi attend de moi que je trouve comment reproduire mes œuvres…

Ou encore Lionel qui m’a (enfin) permis de comprendre comment je fais mes peintures. Il m’explique : « Un écrivain prend des lettres, les agence en mots qu’il combine pour écrire un livre, vous vous prenez les symboles du Tarot, vous les agencez et les combinez pour créer ces images ». C’est si simple et clairement dit, merci.

Et puis la classe de l’école qui jouxte la salle : une douzaine d’enfants de 3/4 ans à 8/9 ans, leur institutrice (du latin instituere : qui met sur pied, bâti) et une accompagnatrice. Ces enfants (infans en latin : dénué de parole !) s’extasient devant les sculptures, Antonin Artaud fait peur à certains, la tête à treize visages est dévisagée avec curiosité, la conversation d’Eros et de la cantinière interroge, de quoi parlent-ils cet ange tout nu et cette femme si calme ? et la meute de chiens d’Actéon… Puis ils en viennent aux peintures et la maîtresse, qui m’a emprunté mon jeu, distribue les cartes en proposant aux enfants une chasse aux trésors : 

associer la carte qu’ils ont en main à une des planches. Ils courent, trouvent et montrent fièrement les accointances qu’ils ont créées. Ensuite ils font le tour, les yeux pleins de couleurs, des dessins-desseins qui les font rire, rêver, parler et, lorsqu’ils arrivent devant ‘’En un tour de main’’ présentant une Maison Dieu fleurie de petites tours et d’amoureux, l’institutrice demande : « Que voyez-vous ?»  Réponse : « Une tour et s’il y a une tour il y a un roi ». « Et que font les deux hommes en bas ? » « Ils font rigoler le roi ! ». C’est gagné ! Cette interprétation de la relation entre l’être humain et son créateur -ce qui anime l’univers- qui dit que nous sommes là pour apporter le rire, la joie, le plaisir, le bonheur (pensées déjà présentes chez Epicure) je ne l’ai trouvée nulle part. Et même, cette carte souvent mal vue comme étant symbole de chaos, catastrophe, invite les minuscules (à l’échelle des univers) rois-moi que nous sommes à rire de nos galipettes-agitations pour devenir sage (est sage celui qui connait ses désordres et les gère).

C’est aussi Céline qui, je crois (les croyances naissent en ceux qui y croient), emporterait bien toutes les lâmes tellement ses yeux brillent de plaisir. Et puis ceux qui m’adressent leur contentement, trouvant souvent un enseignement de plus dans leur quête commencée bien avant notre rencontre, ou bien parce que c’est une découverte, qu’ils sont venus là par hasard pour trouver … et c’est tant mieux. 

Il y aura aussi Yacob qui aimerait que je partage son plaisir à avoir imaginé et créé son Tarot, comme quelques centaines d’autres, avec 24 lames majeures mais il comprend que je préfère l’anonymat des inventeurs de ce livre de connaissances (cumgnoscere : être avec la gnose) d’un bien commun philosophique à des perceptions du monde toutes personnelles.

    Le vendredi soir, Lily Jung est venue nous apporter l’air du Monde, des mondes par la plus simple présence de la voix, sa voix. En concert, Lilly porte ces chants avec toutes leurs humanités en donnant aux sons des vibrations qui sonnent, réfléchissent en nous et ainsi deviennent les échos de nos émotions. Son tambour chamanique, compagnon de mesure,  dont la  « peau » est une toile de yourte , fuse et diffuse des vibrations éthériques sur lesquelles monte sa voix tisserande d’unis vers… 

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Dimanche, le dernier jour, est advenu et le soir il a fallu tout ranger, sortir et charger dans les véhicules. Chacun s’affaire. Pour moi, ranger des feuilles dans des cartons à dessin, rassembler mes affaires c’est vite fait mais c’est beaucoup plus long pour Stanislas avec Tentation d’Aspirine et ses 50kg, les socles en poutre. Grâce au Diable nous véhiculons tout ce monde jusqu’au camion pendant que Virginie enveloppe avec précaution ses fragiles statuettes. Vers 20h nous allons, Virginie et moi, chercher la troisième voiture. En chemin, devant la basilique, nous croisons Bô et son maître. Salutations, « Vous partez ? Venez, je vais vous montrer la grotte de Marie-Madeleine ». Nous marchons tous quatre jusqu’à l’angle d’une grande terrasse et du jardin de l’abbaye. Là en se penchant on voit, dans un renfoncement du mur d’enceinte, une porte … à ouvrir…

Plus tard, nuit tombée, tous les trois nous y retournons pour que Stanislas partage cette découverte. La lune, bientôt pleine (de rêves) est entourée d’un halo qui la cercle et l’entoure à mi-chemin entre elle et nous : alliance ?

 Après un retour tout en méandres sur de petites routes nocturnes, un repas à trois dans une maison endormie le matin suivant nous partons, guidés par le maître des lieux jusqu’au Mont Premiux, son hermitage dont il nous fait découvrir des trésors : une nappe de muguet, un creux dans une fourche de  chênes son trône, un amas rocheux où Stanislas nous explique comment la lave est montée (jusqu’au ciel ?) pour ensuite redescendre en se séparant en roches qui selon leurs vitesses et leurs températures  devinrent ces chaos où des traits, des couleurs, des failles, des différences de toucher nous font naître à de nouvelles visions de notre monde : Stanislas est géologue.

Vers Orléans la route est belle, pas de tristesse puisque nous avons été heureux. Le désir (ici d’exposer) est la source du bonheur (ici d’avoir vécu cette semaine) et le bonheur est le fruit du désir (Epicure).      

F.Tarche  (Mai 2023)                                                                                                                P.c.c .Virginie Péchard et Stanislas Sizaret.